lundi 25 mai 2015

Querstadtein: Visite du centre guidée par un SDF

A Savignyplatz, il y a souvent un SDF punk adorable sur les marches de la station de S-Bahn, que je remarque parfois ailleurs, notamment au supermarché, seul ou avec ses potes. Ce jeune homme est assez connu pour que deux Berlinoises même pas du quartier à qui j'en parlais voient bien qui il est. Il apostrophe gaiement les passants, propose son aide pour porter les valises et lit beaucoup. Malheureusement, récemment je l'ai vu après quelques semaines sans le croiser, et j'ai eu beaucoup de peine en voyant sa décadence physique. Notre cher SDF a clairement augmenté sa consommation d'alcool et y gagne un visage et un torse gonflés, maladifs. Il a pris dix ans en quelques mois. 

Je n'ai rien fait pour lui, je ne lui donne ni plus ni moins de pièces qu'avant, mais ça m'a fait googler quelques pages sur les SDF à Berlin et découvert une association proposant des visites de la ville guidées par d'anciens SDF. Samedi, avec Tôgueu, le grand frère de Dômeu, nous avons suivi un ancien alcoolique sans abri dans le centre de Berlin.



Notre guide avait un parcours de vie assez intéressant dirons-nous. Il a grandi en RDA, où il était mauvais à l'école, et où il s'est accroché assez vite avec un employeur. Il a commencé à boire, et a fait quelques séjours en prison et dans un centre de désintoxication fermé. Dans notre groupe il y avait une petite fille qui posait les questions de manière franche, par exemple "Tu es allé combien de fois en prison ?", mais même sans elle cet homme serait sincère car il est content d'avoir  mis derrière lui son alcoolisme, et ses 7 années et demi de vie dans la rue à partir de 1991. Un jour, en 1998, il a eu un accident parce qu'il était comme d'habitude extrêmement alcoolisé (un taux sanguin qui commençait par 3 ou 4 avant la virgule dans les unités habituelles !), et a eu un déclic pour demander une thérapie. Le début d'une nouvelle vie ! Alors certes, ça n'a pas été facile, il a encore des difficultés à vivre en appart, et son foie est une épave, mais il nous a dit qu'il était heureux d'avoir arrêté de boire, notamment parce que sinon... il ne serait pas guide !


Il nous a montré différents endroits où il a dormi : sous le pont ci-dessous par exemple. Il vivait en groupe. Il avait sa stratégie pour garder des bières au frais à l'abris des passant. A l'époque il buvait une cagette de bières et deux petites bouteilles de Schnapps par jour...


Dans l'hôpital Charité, autrefois il y avait des bâtiments désaffectés non surveillés, qui étaient aussi un abri possible pour des SDF. Du temps de notre guide, les groupes ne se chamaillaient pas, ou alors, se réconciliaient selon lui rapidement autour d'une bière.



Comme l'a dit  Tôgueu, un moment assez particulier a été celui où il nous a montré comment se coucher sur un banc sans se faire mal aux hanches. Il faut que l'os des hanches, quand on se couche de profil, soit entre deux planches, sinon ça devient douloureux à la longue. Il nous a expliqué que les pieds étaient la partie du corps qui se refroidit le plus vite et met le plus de temps à se réchauffer, du coup il avait deux couvertures réservées aux petons.


Ici on voit l'entrée d'un des musées de l'île aux musées...


Avec cette espèce de grosse baignoire où notre guide a dormi plusieurs nuits.


De nos jours, des caméras empêchent d'y coucher.


La visite s'est terminée devant la fontaine de Jupiter près d'Alexanderplatz, où notre guide et ses compagnons récupéraient les pièces lancées par des touristes. Il a eu l'air assez ému plusieurs fois pendant la visite, heureux de nous sensibiliser à une thématique délicate, et nous l'avons applaudi chaleureusement. L'association Querstadtein fait un beau boulot d'information du public je trouve.

Le guide, à la fin, nous a bien dit qu'il y a de quoi obtenir à manger dans Berlin dans plusieurs endroits, et que beaucoup de SDF les connaissent. Je m'en doutais déjà parce que notre voisine SDF, une femme qui ne respire pas la santé et dort très souvent sous un porche à côté de notre porte, m'a déjà dit qu'elle n'aimait pas les Bretzels alors que je lui en proposais un, et qu'elle allait chercher à manger à la mission de la gare de Zoo. Si je lui donne un euro, en revanche, elle peut se prendre un café au coin de la rue, et ça lui fait plaisir. Pour en revenir au punk de Savignyplatz, notre visite me donne un peu d'espoir. Il pourrait avoir un déclic, alors que j'ai parfois l'impression de voir Requiem for a dream dans la vraie vie. Il demandera ptêt un jour de l'aide pour s'en sortir, et avec son aura, s'il fait une visite guidée du quartier, il aura le monde à ses semelles et snobbera enfin les canettes qui le détruisent.

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